Quelques études se sont penchées sur le processus de mémorisation et « d’oubli volontaire », une fonction tout aussi cruciale pour le bien-être émotionnel et la concentration sur une tâche. Cette nouvelle étude du Scripps Research Institute adopte un angle de recherche très différent : celui du processus biologique qui détermine si des souvenirs doivent être stockés dans une mémoire intermédiaire qui se dissipe après un certain temps, ou dans une mémoire à long terme. Des travaux, présentés dans les actes de l’Académie des Sciences américaine (PNAS), qui mettent en avant des protéines de synthèse clés, très probablement de futures cibles de thérapies contre les troubles de la mémoire ou le déclin cognitif.
Le stockage et le rappel des souvenirs font partie des tâches cérébrales les plus essentielles, mais les processus moléculaires sous-jacents sont encore incompris. L’équipe de Floride, met en lumière un de ces processus de stockage : le déplacement des souvenirs vers un stockage à long terme.
Un commutateur génétique qui stimule le stockage de données dans la mémoire à long terme.
Ces travaux expérimentaux sont menés chez la mouche drosophile « Drosophila melanogaster », une simple mouche des fruits fréquemment utilisée comme modèle pour l’étude de la génétique sous-jacente à la mémoire. L’équipe montre que ce processus implique l'interaction de plusieurs gènes, un groupe connu dont l'activité doit être régulée à la hausse, et, de manière inattendue, un autre ensemble de gènes de contrôle d'accès, « Ras », et ses molécules de connexion en aval, régulées à la baisse. Si Ras ou son connecteur en aval sont « génétiquement » réduits au silence, le stockage de mémoire à long terme est alors « impossible ».
Le concept de « mémoire à long terme dépendante de la synthèse des protéines » : pour évaluer le fonctionnement de ce processus de consolidation de la mémoire au niveau moléculaire, les chercheurs utilisent « l’interférence par l’ARN », une technique qui permet de réduire l'expression de plusieurs gènes candidats dans plusieurs zones du cerveau de la mouche. Lorsque les scientifiques « éteignent » ainsi le gène Ras et sa molécule aval dans le cerveau de la mouche, sa mémoire à moyen terme est améliorée mais sa mémoire à long terme totalement supprimée. La démonstration est réalisée chez la mouche à l’aide d’expériences d’association de stimuli.
L’enzyme Ras, un gardien de la mémoire à long terme : l’enzyme était déjà connue pour ses rôles dans le développement des organes et le cancer. Ces travaux confirment, comme quelques études récentes que l’enzyme fait également fonction, dans le cerveau adulte, de gardien de la mémoire, permettant tel un commutateur au cerveau de déterminer si les expériences doivent être mémorisées comme intermédiaires et se dissiper au bout d’un certain temps, ou comme des souvenirs à long terme dépendants de la synthèse des protéines, qui vont persister.
Le rôle clé de la dopamine : l’équipe révèle ici une voie de signalisation -avec l’intervention des nombreuses protéines en jeu dans ce processus- qui agit comme un commutateur entre 2 formes de mémoire, intermédiaire ou à long terme, supprimant un type de stockage au profit de l'autre. Elle montre également que le stockage intermédiaire semble être la voie privilégiée par défaut du cerveau. Enfin, l’étude révèle aussi le rôle clé du neurotransmetteur dopamine, un rôle de déclencheur, en signalant au cerveau (et à Ras) qu’une donnée est suffisamment importante pour être stockée à long terme.
Le processus identifié devra être confirmé chez l’Homme mais il suggère déjà de nouvelles cibles possibles pour traiter les troubles cognitifs.
Source: PNAS Jan. 13, 2020 DOI : 10.1073/pnas.1819925117 Ras acts as a molecular switch between two forms of consolidated memory in Drosophila
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