La kétamine a cet effet bénéfique immédiat d’amélioration de la fonction cognitive, qui « rend » les personnes en pleine crise suicidaire, moins susceptibles de se faire du mal, résument ces chercheurs du Columbia University Irving Medical Center. L’étude, publiée dans le Journal of Clinical Psychiatry, suggère ainsi qu'une dose unique suffit à améliorer la pensée et le raisonnement, et cela indépendamment des symptômes dépressifs.
La kétamine est un médicament utilisé pour traiter les troubles de l'humeur et la dépression sévère. De nombreuses recherches sur le potentiel du médicament en tant que traitement de la dépression et antidote aux pensées suicidaires ont déjà été publiées et en 2019, l’Agence américaine FDA a approuvé l'esketamine en spray intranasal, dérivée de la kétamine, à utiliser en association avec un dépresseur oral chez les adultes souffrant de dépression résistante au traitement.
On sait que la kétamine modifie clairement le fonctionnement d'importants systèmes de neurotransmetteurs dans de nombreuses zones clés du cerveau. Ainsi, la kétamine modifie la libération de glutamate qui régule une grande partie du système nerveux et aide le cerveau à se recâbler en créant de nouvelles connexions. Cependant, on ignore pourquoi certaines personnes répondent à la kétamine et d'autres pas.
Ici, les neuroscientifiques montrent que la substance corrige la pensée et rétablit la raison de patients ayant éprouvé et déclaré des pensées suicidaires dans les dernières 24 heures, réfractaires à de précédents traitements antidépresseurs.
« Les pensées suicidaires ne sont pas simplement liées à la gravité de la dépression »,
ajoute l’auteur principal, le Dr J. John Mann, professeur de neuroscience translationnelle à l'Université Columbia. « D’autres facteurs, notamment cognitifs, impactent les pensées suicidaires et le rétablissement d’une fonction cognitive normale met ces patients en sécurité ».
Des effets déjà encourageants de la kétamine : au départ de cette étude de suivi de 5 ans, les chercheurs ont pris en compte les effets thérapeutiques de l’anesthésique kétamine -lorsqu’utilisée à des doses plus faibles- contre les symptômes dépressifs chez certains patients. L’objectif était de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à cet effet ainsi qu’à la réduction du risque de pensées suicidaires, en particulier en évaluant l'impact du médicament sur les performances neurocognitives.
La kétamine induit une amélioration rapide de la cognition : ce suivi de 78 participants souffrant de trouble dépressif majeur et habités de pensées suicidaires cliniquement significatives confirme en effet que :
- une dose standard de kétamine administrée par voie intraveineuse entraîne une réduction rapide des pensées suicidaires chez certains sujets ;
- une partie au moins de cette amélioration s’avère corrélée à une amélioration de fonctions cognitives spécifiques comme la résolution de problèmes et le raisonnement ;
- cette amélioration de la neurocognition corrélée à une réduction des pensées suicidaires survient même en cas de maintien des symptômes dépressifs.
L’étude permet donc de mieux comprendre l’action de la kétamine dans le cerveau et de percevoir la rapidité avec laquelle elle rétablit une pensée déformée, conclut l’un des auteurs principaux, le Dr Ravi. N. Shah, de Columbia Psychiatry.
« Être capable de penser plus clairement peut rendre quelqu'un moins suicidaire ».
Kétamine vs midazolam ? L'étude a comparé les effets de la kétamine administrée par voie intraveineuse (non encore approuvée dans cette indication) au midazolam, une benzodiazépine prescrite pour l'anxiété et la dépression. L’analyse constate :
- de meilleures améliorations cognitives dans la pensée et le raisonnement chez les sujets ayant reçu la kétamine ;
- une réduction rapide et durable sur 6 semaines des pensées suicidaires, avec la kétamine ;
- une réponse globalement positive de tous les patients ayant reçu la kétamine en combinaison avec d'autres antidépresseurs -adaptés aux besoins de chaque patient spécifique.
Les chercheurs rappellent que 90% des personnes qui se suicident souffrent d'une maladie psychiatrique et que 60% connaissent un épisode dépressif majeur avant une tentative de suicide (TS). La kétamine semble réduire ces facteurs préexistants de tendances suicidaires. Cependant, les risques neuropsychologiques des traitements répétés par kétamine restent mal connus, des recherches plus approfondies sur son effet anti-suicide restent donc nécessaires.
Source: Journal of Clinical Psychiatry 2-Nov-2021 Effects of Ketamine Versus Midazolam on Neurocognition at 24 Hours in Depressed Patients With Suicidal Ideation