Si la fonction première de l'alimentation est de nourrir le corps, ce n'est pas cette finalité qui nous pousse à rechercher la nourriture, mais la faim. Ces chercheurs du Beth Israel Deaconess Medical Center (Boston), qui ont tenté de remonter aux origines cérébrales de la faim, « dessinent » un premier schéma des circuits complexes du cerveau qui régulent cet état de motivation intense. Ces travaux, présentés dans la revue Nature, permettent de mieux comprendre le processus cérébral qui mène à la faim, qui, lorsqu’elle est déréglée, conduit à l’hyperphagie et donc à l’obésité et les troubles alimentaires. Ils identifient une autre catégorie de neurones, nommés les neurones de la faim au départ du circuit.
C'est l'aboutissement de recherches, menées durant 20 ans, par le Dr Bradford Lowell, professeur de neuroendocrinologie au Beth Israel Deaconess qui travaille sur les neuro-circuits cérébraux qui sous-tendent la faim. Une première découverte sur ces neuro-circuits, celle du rôle clé d'un groupe de neurones, exprimant un peptide AgRP, sur la répartition des nutriments, auprès du pancréas, du foie et des muscles a été présentée récemment dans l'EMBO Journal. Ces cellules nerveuses, présentes dans l'hypothalamus du cerveau sont activées par une carence en calories et lorsqu'artificiellement stimulées dans des modèles animaux vont provoquer la faim, l'hyperphagie et l'obésité.
Comment le cerveau contrôle la faim : L'équipe du Pr Lowell montre ci que les neurones induisant la faim, qui déclenchent l'activation des neurones AgRP, sont situés dans le noyau paraventriculaire, une zone du cerveau déjà associée à satiété. Cette découverte complète le schéma global et la compréhension de ce qui motive l'appétit, alors que de nombreuses questions subsistent: Pourquoi l'alimentation et le jeûne diminuent ou augmentent la faim? Quel est le rôle exact du circuit de la récompense et pourquoi parfois reprenons-nous de la nourriture après un repas complet ? Si de nombreuses études ont apporté des éléments de réponse, mais partiels, décrypter le fonctionnement global de la « boîte noire » du cerveau, c'est-à-dire l'ensemble des circuits neuronaux qui contrôlent réellement la faim permettrait aussi de faire avancer notre compréhension de l'obésité.
Reconstituer le trajet des signaux de la faim, un défi énorme en neuroscience: Compte-tenu de la complexité de ce qui est décrit comme un enchevêtrement complexe de connexions, l'équipe a adopté une approche étape par étape pour retracer l'itinéraire des signaux qui indiquent si le corps est dans un état alimenté ou de jeûne. Pour cela, les chercheurs ont utilisé un certain nombre de technologies extrêmement puissantes qui permettent l'analyse neurone par neurone d'une région cérébrale. Ces techniques permettent de suivre les synapses, les axones et comment, finalement tout cela fonctionne, commentent les auteurs. Ici, en utilisant la technique de la « cartographie du circuit de la rage », une technologie basée sur une version modifiée du virus de la rage conçue pour infecter un seul type de neurones -et, ici, les neurones AgRP qui induisent la faim-, les chercheurs retracent l'itinéraire de la faim : Le virus aborde une synapse et identifie tous les neurones capables de déclencher à leur tour l'activation des neurones AgRP. En utilisant un modèle spécifique de souris, les chercheurs ont été en mesure ainsi d'identifier parmi les millions de neurones du cerveau de la souris ceux qui apportent leur contribution aux neurones AgRP. Au final, ils n'identifient que 2 sites impliqués, l'hypothalamus médian dorsal et le noyau paraventriculaire.
Stimuler et « éteindre » la faim, devient presque possible : Lorsque les chercheurs stimulent spécifiquement et sélectivement, ou inhibent les neurones impliqués –par composés chimiques- ils parviennent à inciter des souris à continuer à s'alimenter sans cesse ou, au contraire lorsque les neurones concernés sont désactivés, à supprimer la sensation de faim. Et, curieusement, ceux qu'ils appellent « les neurones » de la faim sont situés dans cette zone autrefois associée à la satiété.
Pour les chercheurs, le schéma de l'itinéraire neuronal de la faim est presque reconstitué et cette étape laisse déjà espérer d'être en mesure de traiter , en ciblant ces voies identifiées, l'obésité et les troubles alimentaires qui sont, en fin de compte, les conséquences d'une « faim anormale ».
Source: Nature 02 February 2014 doi:10.1038/nature12956 An excitatory paraventricular nucleus to AgRP neuron circuit that drives hunger
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